Une production de grande qualité, avec ses particularités.
Janvier 2004
Remarque préalable : Nous ne parlerons pas ici d’oeuvres produites par les artisans de Toula, où l’armurerie impériale fut créée en 1712 par Pierre le Grand pour fournir l’effort de guerre contre la Suède. De ce centre de fabrication d’armes sortit également quantité de mobilier et d’objets décoratifs en acier, acier bleui, bronze, laiton ou fer forgé. L’impératrice Catherine II appréciait fort les objets créés à Toula.
Les deux principaux centres de fabrication : Saint-Pétersbourg et Moscou
À l’origine, la fabrication de bronzes dorés Russes s’est développée à Saint-Pétersbourg sous le règne d’Élisabeth Petrovna qui monte sur le trône en 1741. Le style des oeuvres créées à cette période est « Rocaille », les lustres fabriqués alors sont dits de « style élisabéthain ». Le cristal de roche, auquel on prêtait des vertus magiques, était fort employé.
Les modèles étaient identiques aux standards européens de l’époque, massifs et prestigieux pour les clients fortunés. Les facettes des pendeloques et des girandoles en verre avaient en Russie une teinte légèrement grisâtre qui n’est pas comparable au cristal employé au XlXème siècle. Cette teinte grisâtre est due à l’introduction de manganèse durant la fabrication du verre, celui-ci étant destiné à enlever la teinte verte ou brunâtre du verre au sortir de sa fabrication ; l’excès de cet additif donne cette teinte grisâtre.
Durant les troubles de la Révolution française, la noblesse russe acheta énormément de bronzes dorés en France via des intermédiaires sur place. Ainsi, le comte P.B.Sheremetev utilisa les services des marchands Lesage et Ruspini pour la recherche de pièces importantes destinées à ses palais.
À partir des années 1760, la demande de bronzes dorés d’ameublement devenant très importante en Russie, et leur importation de France étant très coûteuse, les autorités ont senti l’obligation de développer la production russe.
Ces années-là, les objets décoratifs en bronze doré d’origine russe destinés à orner les palais impériaux étaient fournis par Adam Barbot et Antoine Simond. En 1769 est créée au sein de l’Académie des arts de Saint-Pétersbourg une classe de moulage, fonte et formation des fondeurs-ciseleurs , sous la direction du bronzier français Antoine Simond .
Celui-ci n’est resté que quelques mois à l’académie et fût remplacé par Edme Gâstecloux, qui a plutôt insisté sur les techniques de réalisation que sur la production de modèles. De cette « école » sont sortis de fameux bronziers russes, comme V.Mozhalov ou V.Ekimov.
En 1778, à Saint-Pétersbourg, un décret impérial crée la Fabrique Impériale des bronzes dont le directeur fut Ya. A. Brius . Les premiers artisans travaillant pour cette fabrique furent entre autres J. Nissel,J.G.Heyer et F.J. Kraus ; un peu plus tard arrivèrent M. Fries, J. Pigner, Zaitsev, A.Bôhm.
La plupart des modèles réalisés l’étaient d’après des modèles des sculpteurs Johann Baptiste Soldatti et Pavel Spol.
Quelques fabriques privées
Un petit nombre de fabriques privées existaient également à Saint-Pétersbourg dans le dernier quart du XVlllème siècle. Elles n’exécutèrent qu’occasionnellement des commandes impériales. Citons quelques-uns de ses bronziers : H.F. Sperling, F. George, J. Langer, K. Oesberg,….
L’un des plus connus fut le fabricant Joseph Basselier qui produisait pratiquement tous les modèles de bronzes d’ameublement tels que chenets, candélabres, torchères, etc. en bronze doré à « l’or moulu ».
Le plus fameux fabricant de Saint-Pétersbourg, qui reçut nombre de commandes impériales, fut le bronzier d’origine Suisse Pierre Marie-Louis Agis (1752-1828), actif à Saint-Pétersbourg à partir de1779 selon les dernières recherches (précédemment on avançait l’année 1781).
Les bronziers russes de la nouvelle vague, actifs à partir de la fin du XVlllème siècle, comptèrent deux artisans très réputés.
André Schreiber d’abord (1777-1843, d’origine germanique), qui fonda sa fabrique en 1801, à l’âge de 24 ans. Il eut deux fils qui lui succédèrent. Sa fabrique à Saint-Pétersbourg cessa ses activités en 1858.
Le deuxième fut Friedrich Bergenfeldt (1768-1822). Actif à Saint-Pétersbourg dès la fin des années 1790, il fut fort productif entre 1801 et 1808. La plupart de ses productions sont de style « Empire ». Il collabora régulièrement avec l’ébéniste Heinrich Gambs et fournit des bronzes pour la fabrique impériale de verre, ainsi que pour le célèbre centre impérial de pierres taillées de Kolyvan. Bergenfeldt concevait également ses modèles, une de ses caractéristiques étant ses « modèles marins », à motifs de dieux marins, d’eau débordante, tritons, sur ses grands vases. Rarement rencontrés sur les pièces françaises, ces modèles sont typiques de la production russe de cette période.
Au niveau de la qualité de fabrication, la fabrique Bergenfeldt a concurrencé les meilleurs bronziers français. Son plus gros client fut la cour impériale. Il est peu probable qu’il ait eu des liens avec le bronzier parisien Claude Galle, mais il est étonnant de découvrir plusieurs réminiscences du style de ce dernier dans son oeuvre. Pourtant, les droits de douane à l’importation, prohibitifs pour les bronzes dorés français, empêcha les bronziers russes de bien étudier les modèles à la mode.
Un XIXe siècle très productif
À l’initiative du président de l’Académie des arts de Saint-Pétersbourg, A.S. Stroganov, fut créée en 1804 la « Fabrique de bronzes d’État », qui fournit nombre de montures en bronzes dorés destinées à décorer et enrichir les créations sortant des fabriques impériales de pierres taillées d’Ekaterinbourg et de Peterhof. Pierre Agis y fut directeur à partir de 1810 ; la fabrique produisit également les bronzes dorés d’ameublement que l’on retrouve chez les autres fabricants. La fabrique fut fermée sur décret impérial daté du 23 mai 1812 .
À la même période existait à Saint-Pétersbourg la fabrique « Baumann », active de 1801 à 1840, le plus gros de leur production étant réalisée jusqu’en 1820. Jean-Jacques Baumann qui a commencé avec une petite fabrique, loua les locaux du bronzier I.-K. Menzel en 1803 suite au décès de ce dernier.
Une autre fabrique, qui n’exista que six ans (1801-1807), fut celle de Jean-Pierre Lancry. Elle se situait Rue Pochtamskaya à Saint-Pétersbourg. Il s’adjoint dès 1804 le bronzier français Michel Pivert, qui fonda sa propre fabrique à Moscou en 1810 et fut actif jusque 1827.
Les modèles de Lancry se calquaient directement sur les modèles des bronziers parisiens tels que Thomire, Galle, Feuchère, Ravrio.
Les bronziers russes signaient occasionnellement leurs œuvres .
La firme parisienne de Thomire était en contact régulier avec la fabrique Demidov dans l’Oural. Grâce à ces contacts, ils commencèrent à employer régulièrement la malachite ; d’autres fabricants les ont suivis dans cette pratique.
Les modèles russes étaient créés la plupart du temps par les grands architectes, tels que Carlo Rossi (pour Karl-lvanovich Rossi,1775-1849), Voronikhin (Andrei Nikiforitch ,1759-1814) ou encore Auguste de Montferrand (1786-1858) .
Le style russe a subi les influences allemandes, italiennes, suédoises, françaises. Mais ils ont su créer, comme en mobilier, leur propre style empreint d’une originalité certaine. Les architectes fournissaient ainsi les dessins de modèles de lustres, lampes, candélabres, pendules, meubles, etc.
Cette collaboration se pratiquait également en France avec des artistes comme Charles Percier (1764-1853) et Pierre Fontaine (1762-1853), architectes, grands pourvoyeurs de modèles, ou en Angleterre avec Robert Adam (1728-1792), créateur de I’ « Adam Style », mélange étudié de style antique et Renaissance. Ces architectes ont fourni beaucoup de modèles pour tout ce qui concerne le décor intérieur.
Les associations bronzes dorés-malachite ont été courantes au XlXème siècle, et ce fut l’âge d’or de la malachite en Russie. Les principaux artisans ont employé ce qu’on appelle la « mosaïque russe », sciant du haut vers le bas des blocs en petites plaques de deux à quatre millimètres d’épaisseur ; après polissage, celles-ci étaient en général plaquées sur une âme en pierre. Il existe plusieurs couleurs de malachites telles que : turquoise ou émeraude, à tonalités foncées avec beaucoup de brillance ; la plus connue est la verte.
Les principaux commerçants à proposer ces objets furent : le célèbre « Magasin anglais » créé en 1789 et qui connut sa liquidation en 1880, le « Magasin Hollandais », la firme Triscorni , et le non moins connu « Magasin Corbiaux » ouvert entre 1815 et 1824.
Fin XIXe : continuité et alternatives techniques
Par ces exemples, on peut voir que la demande était très forte pour les bronzes dorés en Russie , et ce jusqu’à la fin du XlXème siècle. Mais ceux-ci étant très coûteux, des fabricants ont trouvé une parade : le bois (doré) ou le papier mâché (pâte formée de papier détrempé mélangé à du plâtre, que l’on façonne ou que l’on moule) doré.
La firme « Kretan » a produit nombre de ces objets à Saint-Pétersbourg. Elle fut active jusqu’en 1850, fournissant aussi la cour impériale qui se souciait également des prix.
La dorure électrolytique commença à être employée ces années-là .
Vint ensuite le règne de Nicolas ler qui correspond à peu près la fin de l’époque Restauration en France et au règne de Louis-Philippe, avec une correspondance de style néogothique, historicisme.
Des productions hybrides de style « Napoléon III » furent produites dès 1840, adaptations courantes des styles du XVIllème revisités. La firme « Chopin » de Saint-Pétersbourg en était un des principaux fabricants ; cette firme fut active entre 1830 et 1888.
Saint-Pétersbourg à la fin du XIXème siècle fut le principal centre de fabrication des
Les bronzes dorés russes des 18e et 19e siècles.
Moscou ne comptait que trois ou quatre bronziers dont la fabrique Petrov, Samarin ou « Krumbuegel et Schoenfeldt » apparue en 1835. Les oeuvres moscovites sont moins élégantes que celles réalisées à Saint-Pétersbourg, mais meilleur marché. Parfois ils utilisaient des plaques de bronze qu’ils montaient sur bâti de bois. Pour la dorure, le procédé restait identique, ils appelaient cela le « bronze de Birmingham » ou « bronze anglais ».
Après la Révolution d’Octobre, les autorités soviétiques saisirent beaucoup d’oeuvres appartenant à la noblesse et procédèrent à leur vente, notamment via la célèbre maison de ventes berlinoise « Rudolph Lepke’s ».
Ils vendirent également des oeuvres provenant de l’Ermitage, du château Michel et d’autres résidences impériales, afin de rentrer des devises. De nombreux marchands et collectionneurs acquirent de cette façon des bronzes dorés russes. Des milliers d’oeuvres produites en Russie entrèrent alors dans les collections européennes.
Tout récemment chez Drouot Richelieu réapparut une très belle urne en granit rouge d’Assouan avec monture en bronze doré, circa 1800. Cette urne avait été vendue chez « Lepke’s » en mai 1931, n°142 du catalogue. Elle faisait partie des collections Stroganoff.
L’originalité de la production russe, les associations de bronzes dorés avec des pierres taillées, expliquent les prix élevés atteints par ces oeuvres sur le marché de l’art .
Vivian Miessen
Bibliographie : * Catalogues des ventes « Rudolph Lepke’s Kunst-Auctions-Haus » à Berlin, en 1928, 1929 et 1931. * Soloviev K.A. « Russian Ligthing » , Moscou — 1950. * Zeck I. « Bronzes d’ameublement et meubles français achetés par Paul ler pour le Château Michel de St-Petersbourg en 1798-1799 » in : Bulletin de la société de l’histoire de l’art francais , pp.141-168 , Paris -1995. * Pierre Verlet , « Les bronzes dorés français au XVlllème siècle », éditions Picard 1987. * Mukhin V.,Znamenov V. : « The bronze foundry firms of St-Petersbourg » in : »The Peterhof Almanach » , 1992.
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